Il est de ces bandes dessinées qui ne racontent pas tout à fait une histoire, mais qui vous happent dans un flux. Anzuelo, œuvre étrange et aqueuse signée Emma Ríos, éditée chez 404 Graphic, fait partie de celles-là. On y entre sans trop savoir où l’on va. Et parfois, on n’en sort pas non plus.
L’univers semble englouti, noyé sous une mer devenue presque vivante. Des adolescents, isolés, mutent peu à peu, se fondent dans leur environnement, ou peut-être s’en détachent-ils… difficile à dire. La narration, volontairement flottante, ne donne que peu de repères. L’album se lit plus comme un poème organique que comme un récit linéaire. Une fable écologique ? Une métaphore sur l’adolescence ? Une rêverie post-apocalyptique ? Peut-être un peu de tout cela, ou rien de tout cela.
Et il y a de quoi s’y perdre : Anzuelo s’étale sur près de 180 pages, un volume conséquent pour un one-shot qui n’a rien d’anecdotique. C’est une œuvre dense, sérieuse, qui prend le temps… ou vous le fait perdre.
Graphiquement, c’est superbe. Les aquarelles, fluides, dissolvent les contours et noient la frontière entre personnages et paysages. Tout se mélange, se délite, se transforme. Et puis soudain, sans prévenir, une tache rouge. Crue. Sanglante. La violence surgit dans le tableau avec une brutalité visuelle presque insoutenable. Ce rouge-là n’est pas qu’un rappel. Il est un cri. Un hurlement dans le silence pastel. Il heurte, volontairement. Il détonne, volontairement. Et on comprend, peut-être, qu’ici, c’est moins le choc des corps que celui des émotions qui compte.
À vrai dire, on ne sait jamais vraiment si l’on doit aimer Anzuelo, ou simplement s’y laisser glisser. L’œuvre n’est pas confortable. Elle ne cherche ni à plaire ni à convaincre. Elle exige une certaine disposition d’esprit : celle d’accepter de ne pas tout comprendre, de s’abandonner à des sensations plutôt qu’à une trame narrative.
Il faut du courage, parfois, pour finir certains livres. Il en faut aussi pour admettre que finir n’était peut-être pas le but. Peut-être fallait-il juste s’y perdre un moment.