Le dernier livre de Jason Schrier est un manifeste, dont le thème se résume dans son sous-titre : « désastres et reconstruction dans l’industrie du jeu vidéo ». L’auteur, comme à son accoutumée, donne la parole aux développeurs de jeu vidéo.
Quelques grandes figures ont parfois témoigné, mais il s’agit surtout de la grande armée des sans-noms. Ceux qui, même s’ils participent à des titres connus, restent dans l’ombre du grand public. Les différents chapitres visent surtout à évoquer la fin d’un grand nombre de studios et l’impact humain des divers « plans de restructuration ».
Société anonyme
L’intérêt du livre est vraiment d’explorer au plus près les rouages de sociétés telles que 2K, Disney et surtout EA. Inutile de vous dire que certains choix commerciaux ou financiers posent vraiment question. Ces firmes sont décrites comme obnubilées par les titres qui engendreront une « croissance rapide et continue ».
Les studios rentables, mais dont les revenus sont jugés trop peu suffisants, ne sont pas gardés très longtemps. Origin et ses licences de JDR ont ainsi été liquidées, car elles ne généraient que trop peu d’argent. On voit ainsi cette situation se répéter pour des titres pourtant reconnus et ayant plutôt bien fonctionné, comme Epic Mickey ou la Saga Bioshock.
Mais les choix de fermer un studio ou tout du moins d’en liquider la majorité du personnel sont aussi directement liés à la quantité des personnes pour réaliser un triple A. Ce fut ainsi le sort des équipes de Bioshock Infinite. Devenus trop nombreux à la sortie du jeu, les ¾ des développeurs ont été licencié malgré le travail acharné. Et quand un éditeur impose une adaptation mobile avec des microtransactions qui détruisent tout plaisir, le studio et son personnel sont renvoyés sans ménagement.
Un livre Témoin
La majorité des 8 premiers chapitres donne vraiment la part belle aux témoignages des différents acteurs. Pour le coup, Jason Schreier a réalisé de nombreux interviews et utilise certaines déclarations pour compléter son propos. On y suit souvent les pérégrinations de plusieurs acteurs du JV.
Toutes les situations sont d’ailleurs évoquées au sein de grands studios, comme ceux de taille moyenne ou indépendants. Du recrutement au licenciement, toutes les étapes de vie de ces personnes nous sont présentées de manière assez vivante et immersive. L’effondrement de leur emploi et pratiquement de leur vie, est d’autant plus dramatique.
De fait l’importance de ces témoignages est particulièrement forte. Elle ne peut être que conseillée à tous ceux qui s’intéressent à cette industrie. L’envers du décor est souvent particulièrement dur, d’autant qu’il n’est que trop rarement évoqué.
Un souffle épique qui manque de profondeur
Pour autant, à rester au plus près des événements, on gagne certes en intensité. Mais on y perd aussi en exactitude. Bien souvent le propos manque de chiffres et de précision. On aurait aimé que soit mis dans la balance les chiffres de ventes, les coûts de revient ou même les salaires eux-mêmes. Le livre évoque régulièrement la perte ou la sauvegarde liées à des négociations de licenciement ou de couverture santé, sans que cela ne soit davantage détaillé.
A un autre moment, les différences salariales entre les États-Unis et la Suède, ou entre un employeur dans une grosse société ou celui chez un développeur indépendant, sont mentionnées sans que tout cela ne soit vraiment étudié. On reste donc, bien trop souvent, au niveau du témoignage subjectif.
Le chapitre IX, faisant office de pistes de solutions, est lui aussi bien léger. Certaines des idées ne semblent par particulièrement viables. Par exemple, l’une d’entre elles se base sur une logique de sous-traitance complète, basée sur des sociétés pérennes. D’autres nous paraissent plus évidentes dans une société Européenne, comme le syndicat ou les conventions collectives, mais sont également à peine esquissées.