En octobre dernier, nous avons eu la chance d’embarquer pour un moment unique : une interview exclusive avec Toshihiro Kondo, le président emblématique de la société Falcom. À bord d’une péniche amarrée dans un cadre aussi atypique que charmant, nous avons discuté des dernières pépites du studio, notamment les nouveaux opus de Ys et Trails, deux séries qui ont marqué l’histoire du RPG japonais. Passionné et toujours prêt à partager sa vision, Toshihiro Kondo a abordé avec nous l’évolution de ces licences, les défis créatifs rencontrés, et ses ambitions pour l’avenir. Un moment enrichissant pour les fans de jeux narratifs et d’aventures épiques, que nous sommes ravis de vous faire revivre à travers cet échange !
Douglas Alves : Ma première question concernera Ys, parce que Ys, déjà, c’est un de mes jeux préférés, et c’est le premier jeu Falcom qui est arrivé en France traduit sur Sega Master System, et en plus il concerne une légende bretonne. Et il y a très peu de jeux qui parlent de légendes françaises, Ys a donc une aura spéciale auprès des vieux fans de jeux vidéo.
C’est la première fois je pense M. Kondo que vous venez en France pour des interviews sur vos séries « Ys » et « Trails », est-ce que ça veut dire qu’on va avoir plus d’événements et de promotions autour des jeux Falcom, et notamment Ys, en Europe et en France ?
Toshihiro Kondo : D’abord, nous, les japonais, avons créé la série Ys pour parler de la France. Je suis très heureux et très désolé. La série Ys est la série française la plus longue de Falcom, et c’est très important pour nous. Nous voulons faire de l’action, et nous voulons que les japonais jouent à la série. D’une part, je suis dans une position un peu originale. En tant que japonais, le fait que les japonais aient repris une légende française, on est très reconnaissant à la France de nous offrir un cadre comme ça pour développer un jeu. A la fois, on se sent un peu désolé parce qu’on n’est pas sûr de la façon dont ça a été traité. C’est un peu rigolo comme situation. C’est aussi la plus longue série de chez Falcom, celle qui a vraiment commencé depuis très longtemps. En tout cas, en ce qui nous concerne, c’est une série qui a une place très importante en tant que jeu d’action. Bien évidemment, on veut la développer à l’avenir. J’ai été impliqué dans la développement depuis Ys VI. C’est un titre très important pour moi qui m’a été transmis par mes pairs. La légende d’Adol Christin a plus de 100 épisodes. Il n’y a que 10 épisodes à ce jour dans la saga Ys. Je ne sais pas jusqu’où on pourra aller de mon vivant, mais je sais que les prochaines générations pourront continuer à profiter des aventures d’Adol encore très longtemps.
En plus, on a la chance d’être en partenariat avec NIS America, qui a localisé nos jeux Ys depuis un certain moment. C’est vraiment quelque chose sur lequel on est très reconnaissant. On pense que ça va permettre à la série de rayonner davantage en France.
DA : Tout d’abord, en tant que fan français, je tiens à exprimer ma profonde gratitude. Je suis extrêmement heureux qu’il soit possible de développer un excellent jeu basé sur une ancienne légende française.
J’ai une question : vos anciens titres ont-ils été développés de la même manière qu’Ys, en étudiant et en s’inspirant de légendes spécifiques ? Est-ce que cette méthode a également été utilisée pour les titres suivants ? Autrement dit, y a-t-il un processus où vous étudiez une nouvelle légende régionale et basez un jeu dessus ?
Toshihiro Kondo : Cela dépend des titres. Certains sont complètement fictifs, tandis que d’autres s’inspirent à divers degrés de légendes ou d’histoires réelles. Par exemple, Ys VI et VII sont entièrement fictifs, mais Ys IX et Ys X s’appuient en partie sur des références historiques.
Pour le dernier opus, Ys X, je me suis inspiré de la mythologie nordique et de l’histoire des Vikings. Ce sont des sujets que j’avais déjà étudiés à l’époque du lycée. J’avais donc quelques bases, mais j’ai approfondi mes recherches pour construire quelque chose qui pourrait fonctionner. J’ai donc tiré mon inspiration de l’univers viking : leur ambiance, leur environnement et leurs méthodes.
En jouant à Ys X: Nordics, j’ai remarqué de nombreuses similitudes avec Ys VIII, notamment dans le gameplay et la manière dont le jeu se développe. Est-ce que cette observation est juste ?
Pour les œuvres que j’ai créées, j’ai toujours voulu me concentrer sur des aventures authentiques. J’ai donc commencé par cette idée. Ys VIII se veut une aventure classique, presque emblématique, un voyage épique à l’ancienne. Ensuite, pour Ys IX, j’ai voulu introduire quelque chose de plus original, d’un peu spécial. Dans Ys IX, le héros pouvait se transformer, et l’aventure se déroulait dans des environnements plus atypiques comme une prison ou une ville.
Pour Ys X, étant donné que c’est le dixième opus, nous avons voulu revenir à quelque chose de typiquement « Ys« . La Nintendo Switch étant également présente, nous avons pensé qu’il serait bon de faire une aventure représentative de la série. Cette fois, nous avons choisi l’océan comme décor principal. Le contrôle d’un navire est une nouveauté pour la série. En mélangeant ces éléments, nous sommes revenus à une aventure épique tout en intégrant des aspects modernes. Cela peut donner l’impression que Ys X est proche d’Ys VIII. Cependant, notre objectif n’était pas de nous rapprocher d’Ys VIII mais plutôt de créer une aventure fidèle à l’esprit d’un explorateur.
Dans Ys VIII, nous avons beaucoup mis en avant l’exploration et la découverte. Mais dans Ys IX, nous avons cherché une autre approche en fonction du thème principal du jeu. Je pense que l’image de Ys VIII, centrée sur de grandes aventures et sur le sentiment d’exploration, est devenue plus crédible et plus marquante pour les joueurs grâce à ce travail. Notamment parce que Ys VIII était prévu dès le départ pour la Nintendo Switch, ce qui a permis à de nouveaux joueurs de découvrir la série Ys. Dans ce sens, je pense que le gameplay et l’image globale d’Ys X ont été influencés par Ys VIII.
DA : Je comprends, c’est un peu similaire à ce que fait la Pokémon Company : créer un épisode à la fois pour la nouvelle génération et pour les anciens fans.
Concernant le développement des titres Ys, jusqu’à présent, vous avez toujours suivi le modèle traditionnel : finir un jeu complet et le sortir tel souhaité par l’équipe. Pour les futurs titres Ys, envisagez-vous un modèle où vous ajouteriez des éléments progressivement, comme des DLC, de nouvelles quêtes ou des fonctionnalités supplémentaires ?
Toshihiro Kondo : Eh bien, pour le moment, il n’y a pas de plan concret pour adopter un modèle « évolutif » de ce type. Cependant, nous aimerions tout de même essayer des choses comme des DLC ou des mises à jour pour certains titres.
C’est une idée que nous pourrions annoncer sous une autre forme un peu plus tard. Cela dit, fondamentalement, tant que nous travaillons sur des titres pour consoles, nous souhaitons continuer à développer des jeux de manière traditionnelle, c’est-à-dire en les concevant comme des œuvres complètes, un par un, comme nous l’avons toujours fait.
DA : Cette fois, j’aimerais que nous parlions de Kuro no Kiseki (Trails). En Occident, plusieurs titres de la série Trails ont été récemment distribués. Concernant ce dernier opus, Kuro no Kiseki 1 et 2, comment devons-nous comprendre leur position par rapport aux précédents titres ? Notamment ceux qui n’ont jamais été publiés en Occident.
D’autre part, la série originale des The Legend of Heroes et ses nombreuses branches peuvent parfois être complexes à interpréter pour nous, Européens. Comment devrions-nous les comprendre dans leur ensemble ?
Toshihiro Kondo : La série The Legend of Heroes est en effet extrêmement complexe. Même parmi les joueurs japonais, peu sont en mesure de la saisir dans son intégralité.
C’est vrai qu’il y a eu énormément de branches et de jeux qui sont sortis, qui sont des embranchements de l’histoire. Mais pour essayer de recentrer un petit peu et de simplifier les choses, on peut découper la série en trois gros blocs.
- La première saison inclut les titres The Legend of Heroes 1 et 2, qui se déroulent dans le monde d’Eselhasa.
- La deuxième saison couvre les opus 3, 4 et 5, que l’on appelle la « Trilogie de Gagharv ». Cette trilogie se déroule dans trois mondes distincts qui, en réalité, sont connectés par une histoire plus vaste.
- Enfin, la troisième saison, qui dure maintenant depuis 20 ans, correspond à la série Trails (ou Kiseki en japonais). Cette saga prend place sur le continent de Zemuria et relie progressivement les histoires à travers plus de 10 titres. (13)
Ces trois grandes saisons peuvent être considérées comme des entités complètement séparées. La série Trails, bien qu’elle appartienne à l’univers de The Legend of Heroes, peut être perçue comme une indépendante, même s’il y a des liens très très lointains. Elle a suffisamment été enrichie et avancée dans sa propre direction pour être complètement indépendante des précédentes.
DA : Monsieur Kondo, on entend souvent dire que La Sorcière Blanche Légendaire est l’un des titres les plus marquants pour les fans (NDR : d’après Douglas c’est aussi le jeu favori de monsieur Kondo). Avez-vous envisagé, dans le futur, de vous concentrer sur ce titre en particulier, par exemple avec un remaster, un remake ou une version en 3D, ou quelque chose dans ce genre ?
Toshihiro Kondo : Personnellement, La Sorcière Blanche est un titre auquel je tiens énormément, et j’aimerais vraiment faire quelque chose à son sujet. Cependant, nous avons actuellement la série Trails (Kiseki) qui en est à son 13e ou 14e volet, et je pense qu’il est impératif de finir cette série avant tout. Si nous ne la concluons pas avant ma retraite, je risque de me faire gronder (rires). Donc, mon objectif principal est d’achever correctement la série Trails.
Au-delà de cela, je n’ai pas encore décidé concrètement de ce que je ferai. Une fois la série Trails terminée, je pourrais envisager de travailler sur une sorte de spin-off, ou bien réfléchir à une quatrième saison de la série The Legend of Heroes. Ou peut-être revenir à la trilogie Gagharv parce que j’y suis très attaché. Mais pour être honnête, c’est une question qui me préoccupe énormément en ce moment, et je ne pense pas pouvoir donner une réponse définitive tant que ce moment n’est pas arrivé.
DA : Falcom est souvent considérée comme une entreprise de développement traditionnelle, et même aujourd’hui, vous continuez à produire des jeux avec une petite équipe. Cependant, pensez-vous qu’à l’avenir, vous pourriez inverser cette tendance, augmenter les effectifs, et développer simultanément plusieurs titres ? Par exemple, en travaillant sur une nouvelle propriété intellectuelle tout en développant des remakes ou d’autres projets en parallèle. Est-ce que cette approche de production multiple deviendrait une option pour Falcom ?
Toshihiro Kondo : Nous avons déjà essayé de nous engager dans cette voie, mais nous nous sommes vite rendu compte que cela pouvait être difficile. L’essence des jeux de Falcom ne semble pas résider dans le simple fait d’ajouter plus de personnel pour produire deux fois plus de titres. Ce qui rend nos jeux spéciaux, c’est que des scénaristes et des designers, presque comme des artisans, les créent avec soin, un par un. C’est pourquoi je pense que le public apprécie nos œuvres.
Donc, même si nous avions deux scénaristes capables de produire des œuvres similaires, cela ne signifierait pas nécessairement que nous pourrions doubler la cadence. Notre processus de création ressemble à celui d’un artisan qui fait cuire des senbei (galettes de riz) une par une, en les retournant délicatement avec des baguettes. Transformer cela en une production en usine tout en conservant le même goût est une tâche difficile. C’est quelque chose que nous voulons protéger en tant que créateurs, mais cela reste une question sur laquelle nous réfléchissons beaucoup.
En tant qu’entreprise, nous devons bien sûr générer des profits et assurer des ventes, mais je pense que trouver le bon équilibre entre ces priorités sera un défi à relever dans un avenir proche.
DA : Dans le développement, il est parfois dit que lorsqu’une équipe dépasse 80 personnes, il devient difficile de savoir qui fait quoi, et l’efficacité du travail en pâtit. Qu’en pensez-vous ?
Toshihiro Kondo : Oui, c’est vrai. En fin de compte, il y a un coût associé à la gestion des effectifs. Il faut passer plus de temps sur la communication, et des personnes très compétentes finissent par être accaparées par des tâches administratives, ce qui les empêche de se concentrer sur ce qu’elles font le mieux. Si nous voulons préserver cette qualité, augmenter simplement le nombre de membres de l’équipe n’est pas forcément une solution.
Cela dit, prenons par exemple la série Trails (Kiseki) : au cours des 20 dernières années, nous avons publié 13 jeux dans cette série. Pour une équipe de notre taille, c’est déjà assez impressionnant. Nous ne considérons pas que notre rythme de publication soit particulièrement lent.
À l’avenir, même si nous ne pouvons pas doubler la vitesse de publication de la série Trails, il est envisageable de lancer une nouvelle propriété intellectuelle (IP) complètement différente. Si nous pouvons bien établir cette nouvelle IP et la faire continuer dans le temps, alors oui, il serait possible d’augmenter les effectifs et de connecter les projets entre eux en parallèle.
DA : Les titres développés par Nihon Falcom ont chacun leurs particularités, et on peut clairement voir que vous mettez beaucoup d’efforts sur le gameplay et les personnages. Cependant, si je puis me permettre, il semblerait que vous pourriez encore améliorer le volet technique de vos jeux. Je ne dis pas cela de manière critique, mais pensez-vous qu’il soit possible d’améliorer cet aspect ? Par ailleurs, actuellement, vous utilisez principalement un moteur interne pour vos développements. Envisagez-vous d’utiliser un moteur plus grand public comme Unreal ou Unity à l’avenir ?
Toshihiro Kondo : Nous avons déjà utilisé des moteurs externes à un moment donné, bien qu’ils ne soient pas de grands moteurs comme Unreal. Mais cela a posé plusieurs défis. Par exemple, nous ne maîtrisions pas complètement la structure interne de ces moteurs externes. Donc, lorsqu’un problème survenait, il était difficile de savoir si l’erreur provenait du moteur lui-même ou de nos propres erreurs.
Nos programmeurs ne sont pas seulement des ingénieurs, mais aussi des créateurs qui s’investissent dans l’équilibre et le réglage du gameplay. Cependant, lorsqu’ils devaient consacrer beaucoup de temps à l’analyse du moteur ou à la gestion des erreurs, cela diminuait le temps qu’ils pouvaient consacrer à ces aspects fondamentaux du jeu.
Suite à ces expériences, nos ingénieurs ont exprimé le souhait de revenir à un moteur interne, ce que nous avons fait. Cela dit, Falcom a une histoire de 40 ans, et si l’on regarde en arrière, il y a eu des périodes où nous utilisions notre propre moteur et d’autres où nous avons utilisé des moteurs externes.
Chaque approche a ses avantages et ses inconvénients. Nous continuerons probablement à expérimenter et à choisir les meilleures solutions en fonction des besoins.
Les designers chez Falcom ont accumulé un savoir-faire important en matière de techniques visuelles. Sur ce point, nos designers sont tout à fait capables d’améliorer encore davantage la qualité. Ils peuvent le faire, mais cela aurait pour conséquence qu’un seul titre prendrait 4 à 5 ans à être développé. Cela prendrait facilement 3, 4 ou même 5 ans.
Et, dans ce cas, cela signifierait que la série Trails (Kiseki) ne pourrait pas être achevée. Nous privilégions donc la sortie régulière de nouveaux jeux, ce qui implique que nos designers doivent parfois faire des compromis. Je tiens à le préciser ici pour défendre leur mérite et leur implication.
DA : Pour terminer, les jeux de Falcom mettent un soin particulier dans leurs bandes-son, que nous adorons écouter. En France, on trouve parfois vos bandes originales ou des éditions vinyles dans certaines boutiques, ce qui est un vrai plaisir. Il y a même des personnes qui découvrent vos jeux après avoir été séduites par vos musiques. Cela m’amène à cette question : pensez-vous qu’il serait possible d’organiser des concerts en Europe dans le futur ?
Toshihiro Kondo : Au Japon, nous avons l’équipe officielle JDK Band qui organise déjà des concerts réguliers. En Asie également, des événements similaires ont lieu. Pour l’Amérique du Nord, bien qu’il n’y ait pas encore eu de concerts en présentiel, nous avons fait des diffusions en ligne pour les fans nord-américains grâce à NISA, ce qui a reçu d’excellents retours.
Nous aimerions beaucoup organiser quelque chose en Europe à l’avenir, et nous avons déjà évoqué cette possibilité avec nos partenaires comme NISA. Cela dépendra d’une coopération avec des entreprises locales, mais c’est quelque chose que nous espérons concrétiser un jour.
Si un événement autour de la musique de jeux vidéo comme un festival se présentait, cela pourrait être une belle opportunité d’y inviter l’équipe JDK. Les membres de JDK sont très enthousiastes et je suis sûr qu’ils seraient ravis de participer.
Un grand merci à Monsieur Toshihiro Kondo de nous avoir accordé du temps, afin de nous parler un peu plus de Ys X: Nordics et Trails through Daybreak II, ainsi que sur l’avenir du studio. Pour rappel, Ys X: Nordics est disponible depuis le 25 octobre sur PlayStation, Steam et Nintendo Switch. Tandis que Trails through Daybreak II arrivera le 14 février sur PC, PlayStation et Switch.