Philip K. Dick est un auteur de science-fiction qui n’a pas eu de chance; publié uniquement dans Playboy (car oui Playboy publiait des articles de société et des nouvelles épisodiques) et dans quelques revues mineures à son époque, il a souffert d’hallucinations et de crises mystiques qui ont façonné son écriture et ses relations. Mais surtout Hollywood a impitoyablement pillé son œuvre après sa mort pour créer des films de science fiction cultes au scénario surprenant et palpitant (Blade Runner, Total Recall, Paycheck, Planète Hurlante) qui dans le même temps n’auront quasiment rien rappoté à ses descendants. Néanmoins, son influence sur l’écriture de fiction moderne est indiscutable; tout comme Lovecraft dans son domaine, il nous a ouvert une nouvelle façon d’écrire la science-fiction, en imaginant des mondes dystopiques, absurdes et mourants, débordant de complots ourdis par le pouvoir lui-même, de mutants, de clones, de cyborgs et de colonies spatiales et baignant dans un absurde qui frise l’un humour existentiel. Le présent jeu, Californium, de Darjeeling et Nova Production, édité par Arte Interactive et Neko Entertainment, se veut un hommage à cet auteur majeur du XX° siècle. Sorti d’abord gratuitement en 2016 en format épisodique sur le site d’Arte (4 installeurs sur un mois), la version complète est ensuite sortie sur Steam et GOG. Les deux sont identiques, la seule différence est que la complète enchaîne les chapitres. Petit avis rapide qui promet de garder les spoilers au minimum.
Le joueur incarne Elvin Green, un auteur publié dans un magazine de SF. Rien ne va, sa compagne le quitte, son éditeur le laisse tomber, le patron du restaurant d’à côté qui lui vend de l’herbe refuse de continuer à lui faire crédit et les services secrets le haïssent parce que ses amis sont des hippies. Soudain, sa télévision affiche un thêta majuscule et une voix off lui parle, lui faisant remarquer que si sa vie lui déplaît, il peut essayer d’en observer d’autres.
C’est là que le gameplay du jeu démarre. Le joueur, dans diverses zones du chapitre, devra trouver les glyphes thêta cachés dans divers endroits, une espèce de chasse aux œufs de pâques où parfois ils apparaissent quand on leur tourne le dos, ou sous un certain angle, ou après avoir effacé des objets en les regardant. Chaque fois qu’ils sont activés ils modifient le décor et partiellement la géométrie, révélant la forme du prochain chapitre, chacun représentant un Elvin Green alternatif, aux prises avec des version également alternatives des gens de son entourage. Chaque télévision montre le nombre de glyphes à trouver et quand ils sont tous repérés (certains sets de glyphes étant nécessaires pour en atteindre d’autres), un glyphe géant apparaît, qu’il faut reconstituer sous la bonne perspective pour l’activer et changer de réalité.
Je ne veux pas en dire plus car Californium est un jeu narratif et linéaire qui se spoile assez vite. Je dirai néanmoins que si certains détails trahissent les obsessions de K. Dick (le totalitarisme grandissant, la colonisation de Mars, les réplicants et ordinateurs intelligents), et que l’idée que malgré les univers parallèles certains traits de caractère peuvent perdurer (votre éditeur par exemple, qui reste le même hypocrite au sourire en plastique), on peine parfois à vraiment trouver plus que des références superficielles à Dick.
Certes, le thêta fait référence aux ondes thêta, émises par le rythme cérébral et qui joue un rôle dans la somnolence, la mémoire, le sommeil paradoxal et l’hypnose, des sujets que Dick a explorés à travers sa théorie, sous-jacente à son œuvre, des bulles de perception de la réalité et la possibilité que des univers parallèles soient en fait des couches superposées et simultanées d’une unique réalité, comme si l’univers était un prisme et que tout était question d’angle.
C’est vrai aussi, des hippies fumeurs de joints traînaient autour de son appartement et squattaient parfois chez lui.
C’est vrai que beaucoup de ses nouvelles se passent sur Mars et s’intéressent à la possibilité que les réplicants soient un jour aussi humains que nous. On trouvera même des références au Yi-Qing, la divination taoiste à base d’hexagrammes, qui obsédait Dick.
Mais entre une map minuscule qui se contente de changer de skin entre chaque chapitre, quatre chapitres en tout dont le dernier s’achève un peu trop brusquement, des détails et références inusitées et une fin qui m’a franchement laissé insatisfait, j’ai du mal à le recommander, on peut le finir en moins de deux heures et il n’y a rien à refaire. Je reconnais toutefois que visuellement c’est coloré et que chaque zone traduit assez bien la vision des années 60, y compris le rétro-futurisme de l’époque. Les personnages sont tous des aplats dessinés à la main et quasiment tous les PNJ sont doublés, mais les dialogues sont automatiques et séquentiels, le joueur est quelque part spectateur de la quête de sens d’Elvin, quand bien même le jeu est à la première personne.
Cela ne me suffit pas pour autant. Pour le prix Steam (5.99€) ou GOG (9.99€), j’ai du mal à le conseiller hors soldes et promotions même si je ne regrette pas l’expérience esthétique, et en tant que grand lecteur de Dick (j’ai la collection intégrale de ses récits ainsi qu’une compilation de ses rares conférences) je suis vraiment resté sur ma faim. Et d’un autre côté la narration qui laisse des choses vagues à deviner, la fin qui laisse en questionnement, c’est fidèle à l’esprit désespéré de Dick. À essayer quand même, mais je vous aurai prévenus.