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Syberia Remastered – Chronique d’un remaster qui aurait mérité autant d’amour que son héritage

Acte 1 : Retour à Syberia, là où tout a commencé… ou presque

Il y a des jeux qu’on rate à l’époque, pour de bonnes ou de mauvaises raisons.
Syberia, moi, je ne l’ai jamais fait lors de sa sortie originale. Pourtant, j’en rêvais. Je connaissais l’univers de Benoît Sokal, je savais très bien la puissance évocatrice de ses mondes, cette mélancolie si particulière dans ses décors, cette manière unique d’associer beauté, froideur, solitude et questionnement intérieur. Mais voilà : pas le bon PC, pas le bon moment, pas la bonne fenêtre dans ma vie de joueur.

À l’époque, j’étais plus sur Amerzone – d’ailleurs, j’en ai parlé en long, en large et en passion dans mon dernier article publié sur Air-Gaming. Amerzone Remastered reste pour moi un exemple éclatant de ce qu’un remaster doit être : respectueux, modernisé, équilibré, ambitieux dans ses corrections, et fidèle à l’esprit d’origine. Une réussite qui donnait envie de replonger dans l’école Sokal avec confiance.

Alors quand Microids m’a envoyé Syberia Remastered sur PS5, avant sa sortie, j’avais l’espoir d’enfin découvrir ce classique que j’avais manqué. Avec une version moderne, peaufinée, mise à jour, capable de sublimer le voyage. On m’a recommandé d’attendre le patch Day One avant de m’y mettre — recommandation fréquente, certes, mais déjà un petit drapeau jaune pour celui qui connaît le milieu.

J’ai étalé mon test sur trois semaines, parce que, mine de rien, je ne connaissais pas le jeu ni ses énigmes. Et j’ai même eu un patch fraîchement sorti au moment où j’arrivais au bout. Un timing qui, en soi, deviendra l’un des morceaux de puzzle de ce que j’ai à dire ici.


Une attente légitime… et un premier contact déroutant

Quand j’ai lancé Syberia Remastered, j’étais encore imprégné du remaster flamboyant d’Amerzone. Je m’attendais à retrouver cette qualité de traitement : des environnements totalement repris, un respect absolu des émotions visuelles, un polish moderne. Et, sur l’introduction, je dois dire que j’ai été pris à contrepied. Pas pour de mauvaises raisons — plutôt pour un choc, un décalage immédiat.

Le jeu démarre… en me demandant de sélectionner une sauvegarde avant même de créer une nouvelle partie. Une logique à l’envers, rarement vue ailleurs. On commence toujours une aventure par “Nouvelle Partie”, puis la sélection de slots suit. Ici, non. Pourquoi ? Mystère. Petit détail, certes, mais révélateur : un remaster qui bouscule les conventions UX, souvent sans vraie justification, c’est rarement bon signe.

Puis arrive la cinématique d’intro. Un écran qui n’a rien de remasterisé, une vidéo SD, originale, comme sortie d’un vieux DivX oublié dans un grenier. Je reste perplexe : ils n’ont rien refait ? même pas un upscale propre ? L’effet est d’autant plus étrange que le jeu remasterisé qui suit est plus propre, plus net. Mais cette cassure brutale entre vidéo d’époque et rendu Unity moderne me happe — dans le mauvais sens.

Et ça continue.
Au fil du jeu, les cinématiques apparaissent en 4:3, ou en 2:85, ou en plein écran… On a l’impression que le remaster a été fait en couches, sans unité, sans direction technique uniforme. Comme si chaque partie du jeu avait été confiée à une équipe différente, sans cahier des charges commun.

Ce sentiment ne me quittera pas.


Les trois Syberia qui cohabitent mal dans le même jeu

Très vite, Syberia Remastered m’a donné le sentiment d’être un jeu en trois morceaux, chacun façonné par une équipe qui ne parle pas aux autres. C’est ce qui ressort dans les cinématiques, dans la qualité des environnements, dans la maniabilité, dans les écrans de chargement, dans les bugs, dans la finition générale.

Ce n’est pas que le jeu est cassé.
C’est qu’il est incohérent.

Tu passes d’une zone proprement retexturée à une autre où les éléments semblent avoir deux générations de retard.
Tu observes un effort de modernisation dans un environnement puis, juste après, tu tombes sur un modèle de déplacement rigide en mode écran fixe, ou une caméra qui part dans les choux.
Tu as une interface modernisée, puis soudain une interaction sortie tout droit du début des années 2000.
Même les écrans de chargement n’ont pas la même qualité entre la première zone et les autres.

Le pire, dans tout ça, c’est que Syberia a un univers fort, une identité visuelle incroyable, une patte indéniable héritée de Sokal. Et justement : cette dissonance technique brouille complètement l’immersion.


L’héroïne, le rythme… et les premières frustrations d’ergonomie

Syberia est un jeu lent, très lent. C’est assumé. Kate Walker porte bien son nom : elle marche. Beaucoup. Trop, parfois. Les environnements sont vastes — c’est presque une signature — mais souvent vides. Très vides. Et ces espaces déserts créent un contraste étrange : une architecture immense, belle, intrigante… mais presque fantomatique, où une boutique apparaît comme un décor sans fonction (mention spéciale au boulanger du début, totalement insignifiant).

Les déplacements se font en fonction des angles de caméra, ce qui n’est pas un problème en soi, sauf quand la caméra change brutalement et que gauche devient droite, droite devient gauche, et que Walker se met à faire demi-tour sans raison. Sur PS5, ce manque de “smoothness” frustre rapidement.

Et c’est seulement le début :
murs invisibles à répétition,
collisions absurdes, (ou non collisions)
– objets qui disparaissent du décor mais dont la zone d’interaction reste présente,
– angles de caméra qui empêchent de voir un objet pourtant indispensable,
– scènes où un focus caméra déclenche un cadrage absurde qui masque ce que tu fais.

Ces micro-irritations s’additionnent. Elles transforment une balade contemplative en un combat constant contre la mise en scène.

Même les aides modernisées sont inégales. Dans certains cas, elles indiquent bien un objet cliquable, façon Grim Fandango moderne. Dans d’autres, elles n’indiquent rien du tout. Parfois même, l’indice est visible uniquement si la caméra bascule — ce qu’elle ne fait pas toujours.

Résultat : j’ai dû regarder une solution en ligne non pas parce que je n’avais pas compris une énigme, mais parce que je n’avais pas vu un objet… invisible à cause d’un cadrage raté.

Et ça, dans un remaster de 2025…
C’est dur à avaler.


Une technique capricieuse qui casse l’immersion

La vraie catastrophe, ce sont les murs invisibles et les zônes mortes.
On ne sait jamais vraiment où s’arrête le décor.
On se prend des collisions là où rien ne le suggère.
On tourne en rond parce que la caméra ne suit pas.
On reste bloqué sur l’ancienne zone d’interaction d’un objet retiré du décor.

J’ai eu un moment mémorable :
– une valise qui disparaît du hall parce qu’elle a été envoyée dans la chambre,
– mais dont la zone de collision reste dans le hall, invisible, bloquant le passage.

Juste incroyable.

Un remaster est censé corriger les erreurs techniques d’un jeu d’origine. Celui-ci en ajoute.

Malgré ça, le jeu n’est pas injouable. Il est juste frustrant — trop frustrant compte tenu de son ambition narrative.

Acte 2 : Le voyage, la narration, la VR… et un remaster qui se perd en route

Kate Walker : une héroïne trop gentille… mais profondément humaine

Malgré ses problèmes techniques, malgré ses contradictions visuelles, Syberia Remastered garde un cœur : Kate Walker. Et c’est l’un de ses points les plus précieux.

Souvenons-nous : en 2002, les héroïnes de jeux vidéo étaient souvent fusionnées avec les fantasmes marketing de l’époque. Lara Croft tirait dans tous les sens, hypersexualisée, construite pour plaire à une cible avant d’être un personnage.

Kate, elle, était autre chose :
une avocate,
smart,
moderne,
avec une carrière brillante,
– mais surtout : humaine, faillible, trop gentille.

Ce trop-plein de gentillesse est d’ailleurs récurrent dans Syberia. La plupart des personnages qu’elle croise la prennent de haut, lui donnent des ordres, ou utilisent son empathie contre elle. Ce qui, paradoxalement, donne à Kate une profondeur rare à l’époque : elle n’est pas une guerrière, ni une héroïne “badass”. C’est une femme qui cherche un sens, un but, un équilibre, et qui finit, au fil de l’aventure, par s’interroger sur son propre monde. Sur qui elle est. Sur ce qu’elle veut. Sur ce qu’elle croit aimer.

Syberia n’est pas un voyage vers Syberia.
C’est un voyage intérieur.
Un voyage vers Kate elle-même.

Et ce remaster, malgré toutes ses maladresses, laisse encore entrevoir cette dimension.


Une narration qui fonctionne… mais limitée par sa propre époque

La narration de Syberia reste marquante aujourd’hui : on comprend rapidement les enjeux, on se laisse emporter par la quête de cet homme mystérieux, par les lieux traversés, par la lente transformation psychologique de Kate.

Mais là aussi, le remaster montre ses limites.

La mise en scène est parfois saccadée, parfois anachronique, parfois trop figée dans son format original. Syberia raconte son histoire à la manière d’un roman illustré des années 90 : dialogues, personnages archétypaux, humour parfois daté mais typique de Sokal, qui aimait jouer avec ces figures un peu rocambolesques.

On pense à Tintin, à la Castafiore, à des personnages de BD franco-belge dont l’exagération fait partie du charme. Ça parlera aux nostalgiques. Peut-être moins aux nouveaux joueurs.

Les longueurs, malheureusement, pèsent :
– de grands espaces vides,
– des allers-retours inutiles,
– des situations qui se traînent,
– une narration étouffée par des mécaniques vieillissantes.

Là où Amerzone réussissait à raconter énormément via ses documents, ses notes, ses archives environnementales – un peu comme Half-Life le faisait – Syberia reste plus “classique”, plus bavard, plus dirigiste.

Ce qui n’est pas un défaut en soi…
…mais ne joue pas en sa faveur dans un remaster qui aurait pu moderniser l’exposition narrative.


Ce que Syberia réussit encore brillamment : l’ambiance et la grandeur

Soyons juste : malgré ses défauts, Syberia possède une ambiance incroyable.
Et ça, le remaster ne l’a pas détruit.
C’est peut-être même ce qui justifie son existence.

Syberia, c’est :
– des structures gigantesques,
– des statues colossales,
– une université monumentale,
– des villes entières figées dans le temps,
– des machines absurdes sorties d’un monde imaginaire “steampunk-slavique” unique.

Et même si les environnements sont vides, même si les PNJ sont rares et parfois inutiles, la direction artistique reste magistrale. On se sent minuscule devant ces bâtiments titanesques. On ressent la froideur, la solitude, la démesure. On ressent la nostalgie typique de Sokal, cette impression d’un monde en train de disparaître lentement.

C’est pour cette ambiance-là, uniquement pour elle, que Syberia mérite d’être fait au moins une fois dans sa vie… si on accepte son enveloppe technique fragile.


La version VR : celle qui pourrait tout changer

Je ne l’ai pas testée, mais j’ai découvert après coup que Syberia Remastered existe aussi en VR.

Et là, tout fait sens.

Syberia en VR ?
C’est presque une évidence.
Un monde fait de démesure, d’architectures monumentales, de lieux immenses, de visuels qui invitent à la contemplation.

Si — et c’est un gros “si” — les équipes VR ont eu plus de temps que l’équipe PS5 pour stabiliser le jeu, alors Syberia pourrait véritablement renaître dans un casque :
– meilleure immersion,
– meilleure perception de l’espace,
– meilleure compréhension des lieux,
– moins de frustration liée aux caméras fixes.

Pour l’instant, je ne peux pas juger, faute de Meta Quest 3 ou de PSVR2.
Mais intuitivement, c’est la version qui pourrait transformer un remaster timide en véritable relecture moderne.


Ce que le jeu rate complètement : la finition, la QA et la modernisation

Il faut être clair : le jeu sort pas assez fini.

Syberia Remastered souffre de :
– bugs de collision,
– murs invisibles,
– angles de caméra absurdes,
– interactions invisibles,
– journal qui ne se met pas à jour,
– objets dont les zones d’action restent même après disparition,
– modernisation inégale,
– cohérence artistique variable,
– temps de chargement anormalement longs pour un jeu PS5 sur SSD,
– et surtout une sensation générale de patchwork.

On a vraiment l’impression que plusieurs équipes ont travaillé en parallèle sans parler entre elles, chacune avec sa propre vision du remaster.

Ce genre d’incohérences, on en voit quand un jeu doit sortir absolument avant une date.
Et ce remaster sent ce genre de deadline à plein nez.


Comparaison obligatoire : Amerzone Remastered vs Syberia Remastered

Les deux remasters n’ont rien à voir.

  • Amerzone Remastered était un travail d’orfèvre.
  • Syberia Remastered, c’est un travail pressé.

Amerzone modernise tout :
– interface,
– scènes,
– ergonomie,
– cohérence visuelle,
– narration environnementale,
– ambiance sonore,
– sans jamais ajouter plus de bugs qu’il n’en corrige.

Syberia fait l’inverse :
– améliore un bout,
– casse ailleurs,
– garde des pans entiers archaïques,
– et génère de nouvelles frustrations.

L’un était une lettre d’amour à une œuvre fondatrice. L’autre est un hommage un peu maladroit, fait avec de bonnes intentions, mais pas assez de temps.


Prix, public, recommandations : qui devrait acheter Syberia Remastered ?

Le remaster est vendu 30 €. Soyons honnêtes : c’est trop.

L’original se trouve à quelques euros sur GOG. Et le remaster ne justifie pas les 25 € d’écart. Il n’ajoute pas assez. Il corrige trop peu. Il introduit trop de nouveaux désagréments.

Alors, pour qui est-il fait ?

✔ Pour :

  • Ceux qui n’ont jamais fait Syberia.
  • Ceux qui aiment les jeux narratifs à l’ancienne, lents, contemplatifs.
  • Ceux qui peuvent tolérer des bugs et des incohérences pour profiter d’une ambiance unique.
  • Ceux qui attendront une promo.

Conclusion — Syberia Remastered : un rêve imparfait, un hommage inabouti

Syberia aurait pu être sublimé. Il aurait pu recevoir le même soin qu’Amerzone. Il aurait pu devenir un classique remis à neuf, un joyau de la narration remis au goût du jour.

À la place, on obtient :
– un remaster fainéant sur certains aspects,
pressé sur d’autres,
– techniquement instable,
– narrativement magnifique mais prisonnier de sa structure d’origine,
– et sauvé uniquement par l’ambiance unique du monde de Sokal.

Syberia Remastered n’est pas un mauvais jeu. C’est un remaster trop bancal, qui aurait eu besoin de quelques mois de travail supplémentaires pour être à la hauteur de son héritage.

Aujourd’hui, avec les patchs récents, il est acceptable — mais pas indispensable.

À 30 €, non. À 10-15 €, oui, pour les curieux, les fans de Sokal, et les joueurs qui veulent découvrir la naissance d’une héroïne qui marquera encore longtemps la narration vidéoludique.

Avis sur
Syberia Remastered

👍Plaisant👍

Syberia est un voyage. Ce remaster en est l’ombre. Mais même dans l’ombre… l’univers de Sokal continue d’avoir quelque chose de magique.

Mis à disposition par l’éditeur : Oui

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Manoloben

Enfant des années 80, joueur jusqu'au bout des doigts. Si vous retrouvez du Julien Clerc dans ce texte? Bravo! Amateur de RPG (tout type) et clairement fan de Sega. Manoloben reste un touche à tout. GP32, NeoGeo Pocket, N-Gage et aujourdhui Evercade sont passées dans ses mains.