On reconnaît tout de suite la patte de Kasper Lapp (avec deux p !). Cet auteur atypique, révélé au grand public par Magic Maze et Magic Maze Tower, nous a habitués aux coopératifs où la communication est réduite au strict minimum. Son dernier-né, INK, en est un bel exemple. Avec The Gardeners, édité par Sit Down, il pousse l’expérience encore plus loin : cette fois, pas un mot ne doit franchir vos lèvres. Vous êtes condamnés au silence… et pour moi, à la frustration.
Comment ça se joue ?
The Gardeners est annoncé pour 1 à 4 joueurs (mais clairement pensé pour 2). Vous devez ensemble créer un jardin en posant et retirant des tuiles représentant différents types de terrains : sable, herbe, terre… agrémentés parfois de bancs ou de plantes.
Le cœur du jeu, ce sont les objectifs secrets : deux cartes par joueur sont cachées, et l’ensemble du jardin doit respecter simultanément ces contraintes. Le problème ? Personne ne peut parler.
Vos seuls moyens d’expression sont vos actions : poser une tuile, ou en retirer une. Et c’est justement dans ces retraits que se niche toute la subtilité : ôter une tuile, c’est dire à votre partenaire « non, pas ici », « ce n’est pas ce qu’on vise ». À charge pour lui de comprendre.
La partie se déroule en temps réel, limitée par un sablier de 15 minutes. L’objectif : réussir le maximum de défis successifs avant que le temps ne s’écoule. Trois parties d’entraînement sont prévues pour assimiler les bases… mais ce n’est qu’après ces préliminaires que les vraies contraintes aléatoires surgissent. Et là, accrochez-vous.
Mon expérience
J’ai testé The Gardeners d’abord en solo, puis à deux. Autant le dire : en solo, l’intérêt est limité. On a l’impression de faire un puzzle logique, sans vraiment ressentir l’esprit coopératif voulu par l’auteur.
À deux, le jeu prend tout son sens… mais pas forcément pour le meilleur. Avec un ami intrigué par la proximité avec Niwashi, nous nous sommes lancés pleins de curiosité. Résultat : beaucoup de regards, de silences pesants, et une bonne dose de frustration.
Contrairement à Magic Maze, où l’urgence et les gestes désespérés créent un stress drôle et fédérateur, ici il n’y a pas de déclic. Pas ce moment magique où l’on comprend enfin son partenaire. Pourquoi ? Parce que les tuiles et objectifs arrivent sans graduation claire : on passe brutalement de contraintes simples à d’autres extrêmement tordues, sans transition. On aurait aimé une montée en difficulté plus progressive ou au moins sélective.
En plus, je suis un joueur très expressif. Quand je joue à un jeu de société, c’est pour échanger, discuter, rire. Ici, le silence imposé devient vite une gêne. Je le reconnais : certains adoreront cette tension muette. Moi, ça me coupe du plaisir.
Accessibilité : 10 ans, vraiment ?
La boîte annonce une accessibilité dès 10 ans. Honnêtement, je n’y crois pas une seconde. Même avec des adultes, nous avons peiné à interpréter certains objectifs. Pour des enfants de 10 ans, c’est plus de la frustration que du fun.
👉 Mon estimation : 12-14 ans minimum, et encore, il faut des joueurs patients et motivés par l’idée de lire dans les intentions de l’autre.
Autre point important : les trois parties d’entraînement sont indispensables. Impossible de se lancer directement dans le grand bain. Résultat, le coût d’entrée est élevé : il faut investir du temps avant d’espérer savourer une vraie partie.
Matériel et sensations
Visuellement, c’est… correct. Les tuiles sont illustrées de petits dessins qui remplissent leur rôle, mais sans charme particulier. Pas d’abstraction totale, mais pas d’identité marquante non plus. On est loin de l’esthétique épurée d’un INK.
Le sablier de 15 minutes est censé mettre la pression. En réalité, je l’ai vécu différemment : rester en silence, à réfléchir intensément, pendant un quart d’heure… c’est long, et parfois pénible. Ce n’est pas une « bonne pression » comme dans Magic Maze, mais une contrainte qui use.
Rejouabilité et durée de vie
Sur le papier, la rejouabilité est excellente : les objectifs variés et les contraintes aléatoires garantissent des parties différentes. Mais dans les faits, je me suis posé la question : ai-je envie d’y revenir ?
Ma réponse : pas vraiment. Après quatre ou cinq parties, la lassitude pointe. Là où Magic Maze appelle à « une revanche » immédiate, The Gardeners laisse une impression de curiosité satisfaite, mais sans l’envie d’y replonger.
Comparaison avec Magic Maze
Il est impossible de ne pas comparer.
- Magic Maze : frénétique, stressant, drôle malgré tout. On gesticule, on tape sur la table, on rit jaune.
- The Gardeners : calme, cérébral, silencieux. On scrute, on réfléchit, on s’épuise.
Dit autrement : The Gardeners est une version « tranquille » de Magic Maze. Mais cette tranquillité se paye par une perte d’intensité et d’adrénaline.
Pourquoi on aime ?
- Une mécanique originale : coopératif silencieux poussé à l’extrême.
- Un vrai défi intellectuel, exigeant et inhabituel.
- Pour les fans de Kasper Lapp, une nouvelle pièce d’un univers cohérent et singulier.
Pourquoi on aime moins ?
- Silence pesant, surtout pour les joueurs expressifs.
- Difficulté mal calibrée : pas de progression claire, frustration fréquente.
- Matériel correct mais sans charme.
- Accessibilité annoncée à 10 ans irréaliste.
- Peu d’envie de rejouer après quelques parties.
Pour qui ?
- Pour les amateurs de coopératifs cérébraux, qui aiment les puzzles logiques et l’idée de communiquer sans mots.
- Pour les fans inconditionnels de Kasper Lapp, curieux de découvrir jusqu’où il peut pousser ses concepts.
- À éviter pour les familles, les enfants, ou les groupes qui aiment l’ambiance et la discussion autour d’un jeu.