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Jeudi matin, 2 février 2017, j’ai assisté à la conférence-bilan du SELL (Syndicat des éditeurs de logiciels de loisirs). Bien qu’il n’y ait eu que peu d’informations directes relatives à nos supports, j’ai quand même glané quelques éléments. Petit résumé de ce que l’industrie voit et pense d’elle-même.

 

Tout d’abord, un petit rappel : le SELL est l’équivalent de l’ESRB américain, qu’on peut comparer aussi aux RIAA et MPAA. Ces trois institutions nord-américaines sont le syndicat des éditeurs de jeux vidéo, le syndicat des producteurs de disques et le syndicat des producteurs de films. Comme tous les syndicats professionnels (par opposition aux syndicats ouvriers), leur but n’est pas tant la défense des droits des gens travaillant dans le secteur que la défense des intérêts économiques et commerciaux du secteur. Ainsi le SELL regroupe-t-il par exemple les gros éditeurs-dévelopeurs (Ubisoft, Electronic Arts, Activision-Blizzard, Bandai Namco, Square Enix…), des éditeurs (Take-Two, Focus Home, Koch Media…) et des constructeurs (Microsoft, Sony, Nintendo), qui sont aussi éditeurs.

L’autre utilité de cette structure pour les gros acteurs est d’établir des politiques en accord avec les règlementations européennes et de poser des stratégies en accord avec la conjoncture.

Rassurez-vous, je vous épargnerai un cours d’économie politique. Ce que je ne pourrai pas vous épargner en revanche, c’est le sabir commercial stratégique qui inonde littéralement le kit presse qu’on m’a remis à la sortie d’une conférence brève constituée d’accolades rituelles (puisque la nouvelle présidente vient de prendre ses fonctions) et en gros de la lecture quasi-exacte des infographies affichées au fil des diapositives PowerPoint.

A retenir en amont :
Les chiffres sont recueillis par la société GfK, et ce de deux manières selon que la vente est physique ou dématérialisée.

Pour les ventes physiques, GfK interroge les éditeurs qui présentent leurs ventes de l’année.
Pour le dématérialisé, GfK procède à des estimations qui sont ensuites comparées aux résultats commerciaux des plate-formes (Steam, Google Play, iTunes, Origin, Xbox Live, etc.).
Ce qui est déjà intéressant à remarquer c’est l’absence de l’occasion.

Il faut leur concéder deux points :
1- Les éditeurs ne gagnent rien sur l’occasion, et l’estime ou la notoriété du jeu obtenues par ce biais ne rapportent rien, immédiatement, en soi (en ce qui me concerne, quand je me suis payé ma première XBox -la première génération, j’ai tout acheté d’occasion, elle avait déjà passé la fin de vie, la 360 était déjà sorti et rien de neuf dans les rayons; j’ai beaucoup aimé cette console, mais jamais le SELL n’en a rien su, excepté pour des jeux en déstockage à 5€ à la Fnac). Donc pas d’occasion dans les statistiques.
2- Les échanges PàP (de particulier à particulier) sont virtuellement impossibles à quantifier et suivre puisque beaucoup se font hors de tout circuit officiel (si je revends ma collection NeoGeo Pocket de la main à la main à kuk, il n’y a aucun moyen de faire entrer ça dans les statistiques).

Donc, l’image du marché du jeu vidéo se limite aux circuits commerciaux du neuf; l’image globale, bien que sans doute beaucoup plus parlante, ne peut être raisonnablement représentée.

Enfin, le jeu vidéo est aujourd’hui considéré comme un loisir de masse bien implanté. D’après leurs statistiques, 52% des foyers sont équipés

Ecosystemes

Les fameux « écosystèmes »

A partir de ce constat, le SELL s’est félicité d’une année 2016 particulièrement satisfaisante au niveau économique:
3,46 milliards d’euros de chiffre d’affaires tous marchés confondus, lesquels sont le hardware (HW), le software (SW -physique + dématérialisé), les accessoires et le mobile. Ce volume de CA correspond à +4% de croissance du marché et au niveau le plus haut depuis 7 ans (bizarrerie dans l’infographie disponible dans la galerie, 2014 égalait 2010 et 2015 avait déjà battu 2014, ce qui rend l’affirmation bizarre d’un point de vue logique).

Ce volume se répartit en 3 « écosystèmes » (c’est-à-dire en fait catégories de produits, ou « univers » comme on dit dans l’agencement des grandes surfaces -je vous avais dit que vous n’échapperiez pas au jargon de la gestion. Ici il faut comprendre consoles -portables incluses, PC et mobile).

Les consoles (HW, SW et accessoires) représentent 63% du CA 2016, le « Gaming PC » 29% et le mobile 8%.
A relever, l’écosystème PC ne prend en compte pour le HW que la vente de PC équipés de CG hautes perfs et pour les accessoires ceux estampillés « gaming ».
La croissance s’explique donc aux yeux du SELL par la montée en popularité du secteur « e-sport » (non, sage, couché, on arrêté d’écumer, on se calme et on boit frais). Alors pour ceux qui comme moi ont Age of Empires 2 ou Space Hulk (2013) pour tuer le temps sur leur PC portable de travail pas gaming pour un sou accompagné d’une souris de bureau (mais qui fait son boulot en jeu aussi) et qui en plus se fichent des tournois, vous ne comptez que dans les ventes SW si vous achetez des jeux PC neufs.

Les ventes SW se font à 46% en dématérialisé sur PC et consoles, à 40% en physique sur PC et consoles, les 14% restants correspondant aux boutiques pour mobiles. La « transformation digitale » est donc « réussie » (numérique ça suffisait, et quel besoin de la « réussir » ? -NdA).

Consoles

L’écosystème console, vu les données les portables sont un épiphénomène.

La console a connu une croissance SW de 4%, le PC de 13, et FIFA 17 est sacré « bien culturel le plus vendu en France en 2016 », tous supports confondus (vous en conclurez ce que vous voudrez), avec 1 426 209 ventes.
Si ça peut vous consoler, la deuxième place est occupée par Pokémon Soleil & Lune sur 3DS (805 390 ventes), suivi de Battlefield 1 (509 845 -je vous entends vous claquer le front, vous n’êtes pas discrets).
Détail amusant, GTA V et Minecraft se sont maintenus aux 5° (452 636) et 7° (321 537 ventes) places de ce classement, et la présidente s’est réjouie que des « classiques » soient encore d’actualité (c’est pas gentil de se moquer, arrêtez de rire). Quant au pauvre Yo-Kai Watch, qui était l’objet de l’hystérie du moment au Japon, il peine, à la 15° place, avec 222 218 ventes.
La plus mauvaise vente du Top 20 de l’année revient à LEGO Avengers, qui à péniblement atteint les 154 311 jeux neufs vendus.

Toutefois l’écosystème console en général a reculé de 2%, ce que le SELL considère néanmoins comme stable, au motif que le marché a connu une transition entre la fin de vie de la 7° génération de consoles (PS3, X360, PSP, Wii), qui ne génère donc plus de valeur, et les nouvelles versions de la génération 8 (notamment la Scorpio et la PS4 Pro, puisque la WiiU et la Vita sont dans le coma artificiel -c’est de moi, et que la 2DS ne sert en gros à rien -c’est aussi de moi) et leurs baisses de prix. L’excuse de plus concerne la durée de 2016 (52 semaines alors que 2015 en a duré 53 -vous en faites ce que vous voulez).

Le taux d’équipement de la 8° génération de consoles s’élève à 18% de consoles de salon et 11% de portables, sur les 52% de foyers mentionnés précédemment.

Les accessoires ont progressé de 6 millions, selon le classement suivant :
1- les manettes
2- les cartes prépayées
3- Les casques (son et micro)
4- les « Jouets vidéo » (comprendre je suppose Skylanders et les Amiibo, par exemple)
5- les casques VR (nouvel entrant)

Je vous épargne le détail PC, ce n’est pas ce qui nous regarde directement et l’infographie est dans la galerie.

Mobiles

Voilà quasiment tout ce qui s’est dit au sujet du mobile…

En ce qui concerne le mobile, il a progressé de 8% et l’année passé a, je cite, « consacré le succès des grandes licences ». Je traduis : Pokémon GO a eu un succès énorme (peu importe que ce fut un beau soufflé qui s’est effondré en un été et que Niantic ait été plus qu’honteux dans leur gestion globale du projet, des données, et leur respect de la confidentialité) et les gros jeux comme FIFA, Call of Duty et consorts se sont mieux portés encore que d’habitude.
D’ailleurs, toujours selon cette conférence, Pokémon GO, loin de cannibaliser la 3DS, a suscité l’arrivé de nouveaux joueurs sur Soleil & Lune. Détail intéressant, mais je doute qu’on arrive à reproduire le coup dans l’avenir.

Le top des ventes physiques en volume consacre Nintendo au sommet, suivi d’EA et Ubisoft. En valeurs, la première et la deuxième place s’inversent.

Top20

Le Top 20 dont ils sont si fiers, à 3 on fait une crise d’apoplexie en chœur!

2017 sera « une année historique pour l’industrie du jeu vidéo » (comme chaque année à venir ou toute année réussie -je vous épargne l’analyse des prédictions hégeliennes de l’histoire).
Premièrement le SELL s’est félicité du renforcement du crédit d’impôt, qui passe de 20% à 30%, afin de rester compétitifs et maintenir les talents sur place, et que ce geste répondait favorablement à la mission du SELL, qui est comme je l’ai dit en début d’article de « défendre les intérêts du secteur » (je vous épargnerai aussi la question de savoir pourquoi un marché si vivace a besoin d’une perfusion pour exister et pourquoi icelle semble faire partie de leurs « intérêts », vous devez le savoir aussi bien que moi).

Ils semblent beaucoup attendre de la Switch de Nintendo, ainsi que du retour de licences sur le marché (cela signifierait-il qu’on va encore avoir une armée de suites et reboots?), sans pour autant exclure l’arrivée de nouvelles licences (ça mange pas de pain de dire « peut-être »). Ils croient aussi beaucoup à la croissance du catalogue VR.

Enfin l’e-sport reçoit leur attention, le SELL semble ravi que cela devienne une compétition légitime et parie que cela tirera vers le haut les ventes (d’après leur analyse c’est déjà le moteur principal de la croissance PC -je demande à voir).

Le SELL s’est également félicité de la Paris Games Week, que c’est le rendez-vous incontournable et un grand temps de promotion du produit culturel de masse qu’est le jeu vidéo (on arrête de hurler au fond, merci), et nous a « donné rendez-vous » en novembre prochain (précisément du 1° au 5), Porte de Versailles à Paris. Entre-temps, l’IDEF (Interactive & Digital Entertainment Festival -salon professionnel), « l’évenement trade du jeu vidéo » (j’ai demandé qu’on arrête de hurler au fond) se tiendra du 3 au 5 juillet à Juan-les-Pins.

Enfin, je vous épargnerai le discours sur les « missions sociétales » du SELL, mais de leur bilan « L’essentiel du jeu vidéo 2016 », je garderai ce classement des genres les plus vendus. On en fera ce qu’on en voudra (les catégories sont un peu vagues), mais il nous donne aussi une image générique des goûts des joueurs:

1- Action/Aventure (4 865 263 ventes physiques)
2- FPS/Jeux de tir (3 186 627)
3- Jeux de rôle (2 972 501)
4- Jeux de sports (2 679 872)
5- Course (1 052 099)
6- Plateforme (991 518)
7- Jeux musicaux (831 710)
8- Gestion/Stratégie (830 246)
9- Combat (618 777)
10- Jeux multijoueurs (390 028 -allez savoir ce que ça veut dire cette catégorie…)

——–
Alors je vais ajouter quand même quelques autres remarques personnelles maintenant :

1- Le « retour de licences » ça ne m’enchante pas moi, savoir que les gros titres promis sont Halo 15, Final Fantasy 75 et Street Fighter XII (je caricature -et je précise que le SELL n’a de ce point de vue rien annoncé ni promis -mais vous savez comme moi à quoi ressemble la PGW), ça me donne le sentiment que l’industrie tourne en rond et que plus jamais rien de nouveau ne viendra sous le Soleil (excepté peut-être chez Nintendo, avec Yo-Kai Watch par exemple, cousin éloigné de Pokémon, mais même là le Japon a déjà au moins une suite, et pour le reste un nouveau Zelda ne réinvente rien, c’est un nouveau jeu avec un nouveau gameplay mais c’est un Zelda, pas une licence toute fraîche).
De plus vous savez comme moi que les nouvelles licences fraîches sont souvent victimes des gros éditeurs frileux qui ont peur que le retour sur investissement soit trop faible (ce qui est souvent arrivé sur 360 et PS3, le marché étant hypersaturé de sorties quasi-constantes).

2- Finalement, malgré ces discours sur l’innovation, le VR et j’en passe, le top des jeux les plus vendus correspond à des invariants, pour certains « très vieux » en termes d’âge de la licence (Pokémon notamment, mais aussi FIFA et Call of Duty). A nouveau, on voit une espèce d’immobilisme global, compensé par des progrès incrémentiels (des petits ajouts à la marge, par exemple quand on vous dit que tel jeu plus récent est graphiquement supérieur à celui de l’an passé alors qu’ils emploient les mêmes moteurs, simplement le HW supérieur permet plus de détails visuels).

3- Le marché mobile est sans doute extrêmement illisible (Google Play et AppStore étant un tel fatras de tout, n’importe quoi et son contraire, avec des contrefaçons à la pelle et du Pay2Win Free2Play jusqu’aux genoux), mais le peu de cas qui en est fait semble le confiner à ce qu’il est, malheureusement: quelque chose de périphérique, immobile et déjà un peu figé (sachant que King avec ses puzzle games tient le haut du pavé -et on se demande pourquoi, et que le jeu mobile est surtout composé de casual puzzles, ce n’est pas demain qu’ils supplanteront la portable). Il faut reconnaître que la dernière tablette-console c’est la GamePad2 et qu’Android et iOS connaissent des mutations constantes autant de l’OS que du Hardware. De ce point de vue donc, les jeux sur mobile ont donc un obstacle endogène insurmontable en travers de leur progression: aucune stabilité du support dans le temps (la DSi n’a pas empêché les possesseurs de la DS classique de profiter des nouveaux jeux cartouche), sans compter l’absence de « personnalité » du support-même (un téléphone a des jeux, mais ce n’est pas le même mécanisme psychologique que d’insérer une cartouche dans sa 3DS), ce qui confirme la marginalité du mobile, qui grandit en chiffres de vente, mais pas en termes de fidélité au produit.

4- Le marché portable est, pour ainsi dire, en fait inexistant. La Vita étant en gros morte (étant donné que Sony ne fait aucun effort de support et que les jeux sortent, pour ainsi dire, en dépit du constructeur), il n’y a que la 3DS, dont la concurrence est interne (la Switch). Ergo, Nintendo joue tout seul (un peu comme à la mort de la Game Gear et de la Lynx, et avant l’arrivée ratée de la Wonderswan et de la Neo Geo Pocket, il n’y avait en gros que le Game Boy, et ses petits frères Pocket et Color).

5- Leur analyse des « gamers » (je hais ce terme) est extrêmement superficielle puisque votre patron de 50 ans qui joue à Candy Crush dans les bouchons sur l’autoroute le soir en rentrant du bureau, ou bien cette maman qui s’ennuie devant Bubble Witch dans le métro, sont tout autant des gamers que moi qui ai enchaîné les nuits blanches devant Dark Souls, ou que vous qui peut-être êtes en train de faire un raid en Ultimate Vault Hunter Mode dans Borderlands 2 (ou un raid avec votre clan dans votre MMO préféré, ou un tournoi Counter Strike). On peut donc légitimement mettre en doute les chiffres mobiles et l’analyse de l’implantation. Pour prendre un exemple, j’ai vu des gens se lasser en trois semaines de Pokémon GO, mais étant donné leur comptage, ils l’ont acheté, ils sont des gamers qui entrent dans la stat.
La pérennité du profil est discutable, et l’équipement des foyers trompeurs (qui ne connaît pas quelqu’un qui a acheté une Wii, joué trois semaines, puis arrêté d’acheter des jeux parce que soit rien ne les tentaient, soit ils voulaient juste WiiSports pour « geeker » à l’apéro entre bobos -non, je caricature à peine, j’en ai vu des palanquées de mes yeux).

6- Les indépendants étaient absents (par exemple, Devolver Digital, ainsi que les marchés-niches comme celui de Good Old Games). Le marché est restreint à l’écoulement de nouveaux jeux dans les magasins et le dématérialisé est essentiellement « estimé ». Ce qui veut dire que les chiffres sont à prendre avec du recul.

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En résumé, 2016 a été un très bon exercice, le jeu vidéo se porte bien, les ventes progressent et 2017 s’annonce encore meilleure. Pour plus de détails sur le mobile et les portables… Il faudra chercher ailleurs.

Le bilan est disponible en PDF ici, si vous aimez les infographies et les « analyses » corporate.

PS: gags bonus :
– Sur l’infographie, vous aurez remarqué que les écosystèmes se répartissent en 28%+58%+15%. Chez moi ça fait 101%. Je leur décerne le « Donald Trump Seal of Quality Accounting ».
– Dans le rappel des générations de console, la G6 contient le GBA, le GBA SP et… GB Micro! 3 versions de l’exacte même console à quelques détails près, surtout si pour la G7 les nombreuses variantes de la DS ne sont pas mentionnées… ça me semble curieux, pas vous? Ah bon…
– Toujours dans ce rappel, aucune mention de la NeoPocket, mais la 3DO, l’Amiga CD32 et la Jaguar figurent. Certes là je chipote, mais leurs choix sont étranges.

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